Fortune critique

De Bonis par Guido de Bonis

« Comment je travaille ? Eh bien comme ça !

Je suis d'un naturel mélancolique et paresseux. Durant ma jeunesse j'ai connu des moments de profonde mélancolie et de grande inquiétude.

Toutefois j'ai acquis, par la suite, un certain équilibre et, maintenant, tout me fascine, la vie m'apparaît comme un écrin débordant d’émerveillements.

Ce n'est pas la raison qui me la fait voir ainsi : c'est moi qui la sens ainsi, voilà tout!

Si ma peinture a quelque chose d'inquiétant, ce n'est pas le résultat d'une recherche consciente.

Cette impression d'inquiétude est due peut-être au fait que j'éprouve le besoin de fuir le côté mélancolique de mon tempérament. C'est une réaction tout à fait involontaire.

Ce qui est, au contraire, voulu, en moi, c'est la tension de l'esprit. C'est dans la poésie et dans la musique que je trouve l'atmosphère propice à cette tension.

Il existe un âge entre l'enfance et l’adolescence où nous avons tous vécu dans un monde fantastique, l'âge où « nous nous racontons des histoires ».

Moi je n'ai jamais quitté ce monde, je ne me suis jamais libéré des souvenirs.

Les poches et les tiroirs des enfants abondent en objets disparates : canifs, bouts de ficelle, images, billets, vieux jouets cassés, cailloux, coquillages.

Les enfants ne jettent jamais rien.

De la même façon, mon atelier est bourré d'objets de toutes sortes qui proviennent d'un peu partout, tout comme les chambres d'adolescents.

En un certain sens il s'agit là d'objets qui sont le miroir fidèle de mon esprit, peut-être la clef qui permet d'interpréter certains mécanismes psychiques.

C'est comme si l'on vivait sa propre vie enfermé dans la coquille de son imagination.

Le spectacle du ciel me bouleverse.

La vision de la lune, immense et lumineuse, dans un ciel infini me bouleverse.

L'obscurité me fascine, et ses pas furtifs dans la nuit, les cris des hiboux, les grillons...

D'ailleurs, on trouve tout cela dans mes tableaux, exprimé dans de grands espaces qui ressemblent à une scène de théâtre où j'essaie le plus possible d'évoquer des sensations qui se concrétisent en prenant forme. Les espaces vides, les horizons vides, les places vides, tout ce qui est dépouillé m'a toujours extrêmement angoissé.

On trouve même dans mes peintures une espèce de circulation sanguine.

Si on y déplace une forme, la circulation s'arrête, l’équilibre s'écroule.

Quand je ne suis pas content de l'un de mes tableaux, j'en éprouve un malaise physique, comme si j'étais malade ou si mon cœur fonctionnait mal, comme si j'éprouvais quelque difficulté à respirer et si je suffoquais. Je travaille avec passion et enthousiasme.

Quand je commence une toile j'obéis à une impulsion physique, au besoin de me lancer.

C'est comme un défoulement, un acte d'amour.

Commencer une nouvelle toile signifie réapprendre à vivre, à balbutier, recommencer à se chercher, chaque fois, à nouveau égaré, dans l'obscurité et dans la lumière. Il n'y a rien de sûr dans le vide de la toile qu'on doit peindre et, pour vaincre le vertige qui nous assaille devant le tableau, il n'existe d'autres soutiens que l'espoir et la témérité.

Je trouve que mon atelier ressemble à la boutique d'un artisan. .

Dans un coin on y trouve des toiles à peine ébauchées.

Dans cet autre des toiles à un stade plus avancé.

Il faut limer, composer et recomposer, changer certains tons, ajouter, retrancher et, à un certain moment: conclure.

Les œuvres d'art mûrissent lentement. Par exemple, mon vocabulaire de formes je ne l'ai pas découvert tout d'un coup. Il s'est presque créé malgré moi. Les créations suivent leur cours naturel. Elles croissent, elles mûrissent. ll faut réaliser.

Elles mûrissent dans mon esprit et c'est pour cela que je travaille sur plusieurs œuvres en même temps.

Et même dans des domaines différents tels que la peinture. le dessin, la lithographie, la sculpture et la céramique.

Tout ceci avec l'intervention indispensable de la mémoire qui, dans mon cas, ressemble à un fond marin où tout (algues, coquillages, troncs, feuilles, épaves de naufrages) se dépose, se corrompt, se transforme, subissant sans cesse des métamorphoses sans être jamais détruit.

Tandis que la plupart des hommes doivent s'efforcer de sélectionner leurs propres souvenirs, d'oublier le plus possible leur passé, pour pouvoir vivre, moi, je ne renonce à rien, je laisse tout affleurer à ma mémoire du plus profond de moi-même, sans crainte des secrets de l'inconscient dont je désire, en réalité, demeurer prisonnier comme quelqu'un qui sait qu'il est en train de rêver et qui voudrait retarder éternellement le moment du réveil. »


Guido de Bonis - Texte pour la monographie publiée en 1982 par les Editions Luna Nera à Turin




Fortune critique

« Guido de Bonis et les mythologies corréziennes

Bien avant d’avoir rencontré Guido de Bonis j'avais lié connaissance avec un certain Jean Papadiamantapoulos, mieux connu sous le nom de jean Moréas, personnage un peu mystérieux derrière son monocle hublot qui semblait ouvrir sur les falaises blanches d'Hydra et, au-delà, sur les rivages d'Asie où jadis, avant l'ère dévastatrice de la chèvre, se pavanaient les forêts primaires.

Ce dandy de salon n'était pas ce qu'il paraissait être. Il se dépouillait volontiers de ses attributs mondains, me prenait par la main et m'entraînait à travers la forêt. La poésie, à peine avait-il pénétré sous les couverts, lui sortait des naseaux comme l'haleine des taureaux de Chypre au temps des rois aux masques d'or.

Il me disait : "Regarde, écoute ! ", et je n'avais pas assez de mes deux yeux pour voir, de mes deux oreilles pour entendre mais aussi de toute la surface de ma peau pour accueillir la fraîcheur des verdures, de mes narines pour respirer l'odeur des futaies du petit matin.

Je m'endormais presque sur mon banc du second degré. Le souffle de l'été soulevait le rideau, une mouche bourdonnait. Au loin une lisière de forêt m'ouvrait le chemin des sortilèges.

J'écoutais Moréas déclamer, un bouquin de vers à la main, l'un de ses poèmes que je préférais :

"Sous vos longues chevelures, petites fées / Vous chantâtes sur mon sommeil bien doucement /

Dans la forêt du charme et de l'enchantement ".

J'avais alors dans la tête un catalogue de personnages mythiques. Invariablement, je les habillais de voiles transparents qui s'envolaient aux soirs de fièvre : dryades, hamadryades, nymphes, faunes, sylvains... Tout ce petit monde vaporeux gambadait dans ma tête comme dans celle de Papadiamantopoulos, au milieu des châtaigneraies qui évoquaient davantage les forêts de Longus que celle de Siegfried, les flûtes et les hautbois de Ravel et de Debussy que les violons wagnériens.

J'ignorais encore qu'un jour un artiste venu d'Italie du Sud avec dans ses bagages et dans ses gènes l'héritage du paganisme latin se ferait, en Corrèze, le peintre des hamadryades, ces étranges personnages qui vivent dans l'arbre, de l'arbre et ne lui survivent pas, qu'il suspendrait, comme le voulait le rite païen, des tableaux votifs aux arbres dyadiques de nos forêts limousines.

]'imagine la rencontre de Moréas et de Guido de Bonis, au milieu d'une clairière de châtaigniers, du côté de Sainte-Fortunade, à cette heure du petit matin où le monde se recompose autour d’un rayon de soleil et d'une odeur de champignon. Le royaume de Daphnis et Chloé, lorsque le vent de Ravel souffle dans les frondaisons, se met à vivre. On doit ouvrir les yeux juste de ne pas détruire ce monde fragile.

Nous sommes là, le vieux poète symboliste et le peintre halluciné, et moi entre eux, attentif à imiter leur processus d'exploration de la mythologie forestière. Ils écoutent gronder les orgues vertes de la forêt, sondent d'un œil lavé de rosée les perspectives profondes des abysses végétales, guettent l'éveil des divinités dans l'odeur de Genèse profane de la terre à cèpes, suivent de l’œil les mouvements de la lumière et des écorces dont se dégagent des masques aux cheveux de feuilles et aux barbes de lichens, suscitent dans l'habitacle tourmenté des arbres l'éveil d’un Endymion endormi sous le regard amoureux de Séléné, et moi à côté d’eux, rêvant d'idylles et d'églogues, guettant sur ma peau l'éclosion, sous l'œil magique de Guido, de bourgeons poisseux de sève.

On croit qu'il s'agit d'un rêve et puis, un beau jour, le peintre est là, près de vous, crevant l’écran du temps et de l'espace comme un saltimbanque, dispersant autour de lui ses peintures hamadryadiaques, faisant ruisseler des Aréthuse entre Tulle et Brive, transformant la châtaigneraie en temple dédié à des rites étranges, pudiques, un peu austères, substituant aux tristes ermites mangeurs de châtaignes et de glands de la Légende Dorée les fantastiques images de la légende verte.

Guido de Bonis, un poète ? C'est vrai. Un magicien ? Peut-être. Mais autre chose encore de plus étrange, de plus subtil : un artiste à mi-chemin entre le réel et le mythe et qui ne cède jamais tout à fait à l'un ou à l'autre. A l'image de ce château de Sédières oublié sur le rivage des étangs corréziens par les vents de l'histoire et de la légende. »

Michel Peyramaure (1)

Préface de l’exposition de Bonis au Château de Sédières (Clergoux – Corrèze) en Juillet et août 1978.


... L’arte fantastica di Guido De Bonis rappresenta l’ultima frontiera della libertà, quella che gli ha consentito di scavalcare le barriere imposte dalla ragione, per continuare a attingere al mistero in cui sono racchiusi gli enigmi insoluti del nostro destino.” L’arte di Guido De Bonis – ha osservato il critico Marziano Bernardi – è un’arte raffinatissima che parla prima alla fantasia poi al cervello. È una pittura che “si sente” e ” si percepisce”, dal sapore di fiaba e di Oriente. Il mondo di questo maestro è un universo fascinoso che, come quello di Freud, a cui sarebbe sicuramente interessato, ci trascina al sogno e al sonno, mai all’incubo”.L’immagine che ricorre più frequentemente nella sua pittura, accanto a maschere, marionette, uccelli marini, è quella dell’ombrello. Un ombrello che il vento e le tempeste strappano e deformano, che si trasforma in aquilone, pipistrello o in conchiglia. Anche quando il significato simbolico appare evidente, rimane, però, celato il significato più profondo, quello del simbolo del simbolo. Le immagini dei quadri di De Bonis sono indistinte, spesso scavate nelle ore notturne, sfuggenti, ambigue, in continua metamorfosi, e immerse in una luce lunare, con una predominanza di azzurri e verdi.

Mara Martellotta (2)

Extrait de la présentation de l’exposition hommage à Guido de Bonis (Palazzo Lomellini à Carmagnola (Italie) du 15 avril au 15 mai 2016



Guido De Bonis era un uomo a cui la vita piaceva molto: gran bevitore, instancabile fumatore, incorreggibile seduttore. Ma anche piacevolissimo conversatore, grande cultore dell’arte, delle buone letture, dei viaggi. Entrare nel suo studio la prima volta, per me, giovane giornalista alle prime armi, fu come entrare nell’antro di un orco. Mi accolse questo omone, con una discreta prominenza ventrale e folti baffi che incorniciavano un sorriso bonario e una voce cavernosa, bassa, ammaliatrice… Non so se fosse esattamente così, è ormai passato molto tempo, ma ho sempre avuto di De Bonis questo ricordo, nonostante, dopo il primo momento di smarrimento, l’ironico, arguto, simpaticissimo uomo e grandissimo artista, mi avvolse con i suoi racconti, i suoi “scherzetti”, il suo mettermi alla prova per stimolarmi ad approfondire e vedere nelle sue opere quel suo mondo fantastico, popolato non di meri personaggi della fantasia (anche, forse), ma di un tessuto intellettuale e culturale che andava al di là della semplice rappresentazione. Un mondo fatato e incantato, dove era facile perdersi tra foreste marine, idoli del mare e della terra, magie lunari, pescatori di inquietudini...

Marilina Di Cataldo - Préface de l'exposition Hommage au Palazzo Lomellini (extrait), Carmagnola (Italie) (3)



« … Sous les pinceaux de de Bonis une simple forme peut devenir parapluie, voile ou peut se transformer, s’il le désire, en chauve-souris. A l’intérieur du même cercle magique l’on trouve, de la même façon, la femme et le coquillage, les grandes lanternes et les hiboux aux yeux de jade qui apparaissent, la nuit, dans ses bois. Bois sombres, comme ce primordial magma marin qui, en s’éclaircissant, révèlera la présence d’îles mystérieuses et de royaumes comme d’antiques fables où les mythes se renouvellent pour se traduite en moments d’authentique et de nouvelle poésie… »

Angelo Dragone. Texte pour la monographie publiée aux éditions « Luna Nera » à Turin en 1982. Traduit de l’italien par Evelyne Giumelli.



« … Guido de Bonis aime la peinture qui dénote l'intelligence, il apprécie celle dite "cultivée" et il faut le croire car il a les idées très claires, ses jus sont un concentré de culture européenne, il vit et décrit ses personnages enchanteurs et séduisants rongés par la flamme brûlante ou de la masse écumeuse qui les entourent, pris au jeu de l'éternelle beauté inaccessible, tandis que les couleurs violentes, imprévisibles, hallucinantes disent que pour lui tout se réduit à un fait intérieur, à des sensations, parce que ce sont ces derniers qui provoquent la peinture.
Il croit au progrès, pas à la destruction totale des valeurs humaines. Son travail est épuisant, une constante macération introspective : personne n'a de pouvoirs surhumains, il faut le faire soi-même, créer un monde compréhensible pour tous, avec un discours bien précis. Il s'efforce d'abord d'être un bon artisan : d'autres jugeront s'il est un bon peintre. Il sent qu'il a une mission à accomplir et veut aller jusqu'au bout : celle de raconter des contes de fées pour adultes à un niveau fantastique et symbolique. Cela arrête Guido de Bonis d'une voix profondément vibrante alors qu'il scrute et creuse, ses yeux noisette dans ceux de son interlocuteur. En extase devant la lune inquiétante et la Croix du Sud dans le désert éternellement immobile, il creuse des yeux dans les immenses rochers de Bretagne et entend la voix enivrante de la mer; tendant toujours à exorciser le mystère, toujours cohérent avec lui-même, avec un dessein poussé jusqu'à ses extrêmes conséquences, même si, ce faisant, il complique l'existence entremêlée d'images hallucinantes, d'apparitions et de métamorphoses, de mythes et d'allégories, de jeunes filles et de fleurs charnues, de chauves-souris générées par des parapluies ouverts dans l'infini. »

Ugo Ronfani dans "L'art italien pour le monde" - 1974 - Celit Editore


Guido de BONIS et Ugo RONFANI